04 décembre 2011

DIscrimination et recrutement: article du Nouvel économiste


Age, sexe et origine. Voilà les trois critères sur lesquels se fondent les discriminations à l’embauche de dirigeants. Si elles incombent aussi bien aux cabinets de chasseurs de tête qu’à leurs clients, ces discriminations, lorsqu’elles surviennent, se pratiquent toutefois de manière détournée, à un moment ou un autre du processus de recrutement. Comment ? En prenant la forme de préjugés sur les “bons” et les “mauvais” profils. Pour mettre fin à de telles pratiques, certains acteurs, conscients de leur responsabilité sociétale, se rassemblent en association afin de favoriser la diffusion de pratiques plus déontologiques. Et sensibiliser la profession aux risques juridiques encourus en cas de comportement discriminatoire
A ce poste, un homme serait préférable, car j’ai déjà plusieurs femmes en congés maternité en interne.” Ces propos discriminants, Jean-Marie Chassé, dirigeant du cabinet chasseur de têtes Theodore Search, les entend encore souvent dans la bouche de ses clients. “Parfois, on est vraiment consterné”, reconnaît ce dernier. Un constat partagé par bon nombre d’acteurs spécialisés dans le recrutement de dirigeants. “Nous devons faire face à des clichés, des idées très arrêtées en termes de profil dans 5 à 10 % des cas”, juge pour sa part, Philippe Vidal, dirigeant du cabinet de chasseur de tête éponyme.
Les critères sur lesquels portent généralement les discriminations à l’embauche ? “Elles peuvent porter sur des critères très aléatoires, du handicap à l’apparence physique, même si le rejet des seniors reste aujourd’hui la discrimination la plus flagrante”, affirme Jean-Marie Chassé. Auxquels s’ajoutent les préjugés, encore légion, à l’égard des femmes et des minorités visibles. Et les études réalisées en la matière parlent d’elles-mêmes.
Ainsi, selon le dernier baromètre des discriminations à l’embauche réalisé en 2006, l’âge constitue la première forme de “ségrégation” : un candidat âgé de 48 à 50 ans reçoit trois fois moins de réponses positives qu’un candidat âgé de 28 à 30 ans. Un taux de réponses qui s’affaiblit à mesure que la qualification s’élève. Le “sexe faible” est loin lui aussi d’être épargné par les préjugés : une femme de 32 ans, mariée et mère de famille, a 37 % de chances en moins d’être convoquée à un entretien d’embauche qu’un homme du même âge.
Quant à l’origine ethnique, l’étude note également qu’un candidat au patronyme maghrébin (sans photo) reçoit trois fois moins de réponses qu’un homologue au nom et prénom “français de souche”. Et là aussi, la discrimination raciale s’avère plus forte pour les postes de cadre. “Cela étant, nos clients sont généralement de moins en moins regardants concernant l’origine, nuance Philippe Vidal, car il s’agit pour la plupart de grands groupes internationaux habitués à la diversité.”
Même son de cloche chez Taste RH : “On est plus confronté à des discriminations envers l’âge, qui semblent socialement plus acceptables que celles portant sur l’origine ou le sexe”, explique Sébastien Bompard, dirigeant du cabinet. Un constat que confirme une étude Oasys réalisée en 2007, dans laquelle 69 % des consultants déclarent que l’âge peut être un critère discriminant, contre 36 % pour le nom de famille.
La discrimination inconsciente
Autant de discriminations pratiquées ouvertement par les entreprises ? Ou, a contrario, de façon insidieuse ? “Elles se pratiquent de manière de plus en plus dissimulée, constate Matthieu Beaurain, président de Lincoln Associates, cabinet chasseur de têtes, car depuis plusieurs années, la question de la diversité est devenue un sujet incontournable qui interpelle pouvoirs publics et acteurs des RH. Si bien que les entreprises n’osent plus exposer au grand jour leurs clichés discriminatoires.”
En témoigne en 2005 le lancement par le gouvernement de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), baptisée depuis Défenseurs des droits. Une institution sur laquelle peut s’appuyer tout candidat discriminé pour faire valoir ses droits. “C’est pourquoi les préjugés s’expriment désormais davantage en ‘off’ à un moment ou un autre du process de recrutement”, analyse Jean-Marie Chassé. D’autant que, lors d’une embauche, le client s’intéresse nécessairement à la personnalité du candidat, une approche subjective qui laisse la porte ouverte aux préjugés.
“Difficile donc d’établir où commence la discrimination, tant certains clients privilégient inconsciemment des gens qui leur plaisent personnellement ou leur ressemblent” explique Jean-Marie Chassé, en citant l’exemple d’une entreprise cliente recherchant comme DRH “ ‘un homme dynamique qui a la pêche’. Une requête qui s’avérait discriminante à l’égard des femmes, même si le client n’en avait pas tellement conscience”.
L’autre manière détournée d’éviter tous candidats “maghrébins” ou “noirs” consiste, par exemple, à exiger des profils strictement issus d’une grande école. “Les entreprises qui érigent ce critère en condition sine qua non excluent de fait tous les profils socialement différents, bien qu’aussi compétents”, souligne Philippe Vidal en rappelant que de telles exigences émanent plus souvent d’entreprises françaises, d’une tradition très élitiste, que de leurs homologues anglo-saxonnes, bien plus ouvertes et pragmatiques.
Un avis partagé par Jean-Marie Peretti, professeur en ressources humaines à l’Essec : “les discriminations portent souvent sur le diplôme avec le rejet des autodidactes, aussi expérimentés soient-ils. Le haut potentiel recherché étant souvent un quadragénaire bien diplômé”. Et d’ajouter : “ces formes de rejet sont souvent liées aux préjugés sur l’efficacité et la productivité, trouvant elles-mêmes leur fondement dans un certain culte du jeunisme”. D’où le rejet, tout aussi notable, des profils seniors, qui au-delà des minorités visibles, souffrent aujourd’hui encore d’une image professionnelle négative : celle du collaborateur peu productif, difficilement intégrable et pas assez rentable à long terme.
Des discriminations incombant uniquement aux entreprises clientes ? “Non, certains cabinets partagent également ces stéréotypes sur les ‘meilleurs profils’ et sont peu portés à prendre le risque d’élargir leur recrutement à des candidats qui sortent du moule”, répond Jean-Marie Peretti. A cela s’ajoutent tous les chasseurs de têtes qui s’autocensurent, “malgré eux”, lors de leurs recherches. La raison ?
“Ils se sentent tenus de prendre en compte les préférences, explicites ou implicites, de leurs clients”, commente le professeur. Voilà pourquoi, dans seulement une mission sur deux, les cabinets déclarent présenter un “outsider”, candidat correspondant à moins de 80 % des critères demandés par le client, selon l’étude d’Oasys. Et cet “outsider” n’est en moyenne retenu qu’une fois sur quatre !
C’est dire la difficulté qu’ont certains chasseurs à faire évoluer la position de leurs clients. “Sur un panel de critères comme la formation du candidat, il est souvent très dur de se battre, de faire évoluer les mentalités des entreprises”, reconnaît Philippe Vidal. Les chasseurs n’auraient-ils alors aucune marge de manœuvre pour promouvoir un recrutement socialement responsable ?
“Faux !, répond le dirigeant de Lincoln Associates, face à une demande discriminante, les consultants ont toujours la possibilité de décliner la mission. Et c’est l’attitude que nous adoptons systématiquement.” Pour prévenir toute pratique discriminante, le cabinet Theodore Search a également sa méthode : “Une entreprise qui signe un contrat avec nous s’engage à recevoir tous les candidats que nous lui présentons. Un bon moyen de prévention, puisque la plupart des discriminations ont lieu à la lecture d’un CV, mais sont ensuite levées dès la rencontre du candidat en entretien” affirme Jean-Marie Chassé, en rappelant que c’est le rôle des consultants d’“éduquer” leurs clients aux enjeux de la non-discrimination.
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